"one of the most exploratory pianistic personalities of our time" — Jean Lacroix
Originaire de Nottingham, la pianiste britannique Clare Hammond étudie à Cambridge, puis à Londres, où elle écrit une thèse sur les concertos pour la main gauche commandés par Paul Wittgenstein. En concert, elle fait toujours preuve d’imagination en programmant des pages peu courantes du répertoire, démarche qu’elle reproduit dans ses enregistrements : des partitions de Saxton pour Toccata, des concertinos de Palester pour un label polonais et, pour BIS, des oeuvres de Mysliveček ou Hesketh et un album « Etude », où l’on retrouve Chin, Lyapunov, Kapustin et Szymanowski. Pour le même label, Clare Hammond propose maintenant un éventail, sous le titre de « Variations », de sept compositeurs du XXe siècle. On lira avec intérêt dans Crescendo, à la date du 16 février dernier, l’entretien que la pianiste a accordé à Pierre-Jean Tribot : Ce programme est le plus exigeant que j’aie jamais enregistré, y explique-t-elle, à cause de cette diversité. J’ai appris énormément sur l’instrument et sur l’expression.
Clare Hammond est aussi la signataire éclairée de la notice de cet enregistrement, gravé en décembre 2019. Elle précise en avant-propos qu’elle a choisi des séries de variations qui transcendent la forme dans des myriades de manières créatives et, parfois, audacieuses. Szymanowski et ses fougueuses Variations sur un thème polonais op. 10, écrites au début du XXe siècle lorsque le compositeur achève ses études au Conservatoire de Varsovie, ouvrent la série. Cette page d’un peu moins de vingt minutes -un thème et dix variations- est très virtuose, encore empreinte d’un romantisme enflammé qui se nourrit de Richard Strauss, de Franck et plus encore de Moussorgski, faisant penser souvent à la densité des Tableaux d’une exposition. La jeunesse du créateur, inspiré par une mélodie des Tatras, l’entraîne dans un univers qui est déjà orchestral et marqué par une urgence ardente, soulignée par un toucher coloré, voire délicat. Le sommet se situe à la huitième variation, une résonance de glas y est magnifiquement intégrée, avant que l’œuvre ne se termine en apothéose dans des accords triomphants.
L’Ecossaise D. 643 inspire les 5 Variations sur un thème de Schubert de Lachenmann qui datent de 1956. C’est encore une œuvre de jeunesse, de l’époque où le compositeur se forme à Stuttgart, sa ville natale. Le côté dansant est conservé, mais Lachenmann le distribue entre véhémence stéréotypée et aspects émotionnels, malicieux ou narquois. Les impulsions augurent des options futures qui orienteront le créateur vers la recherche de phénomènes sonores des plus subtils. Avec Birtwistle en 2014, l’hommage passe de Schubert à Bach et aux Variations Goldberg, devenues Golden Mountain, dans un espace d’épisodes brefs dont Clare Hammond souligne avec art l’économie et la finesse de la sculpture. A son habitude, ce compositeur, adepte d’une musique emportée, introduit la puissance par des explosions tonitruantes et un carillon de cloches. En 2017, John Adams rend lui aussi hommage aux Variations Goldberg, mais dans un contexte que l’on qualifiera de souple et d’intime, avec une valse contrariée et une atmosphère de vitalité sans prise de tête. Clare Hammond rappelle qu’Adams lui-même évoque ici un style à la « Satie rencontre Bill Evans ». C’est dire le côté clin d’œil de cette pièce qui salue la retraite de Robert Hurwitz, président du label Nonesuch.
Les Variations de Copland de 1930 ont été proposées par le compositeur âgé de trente ans à Walter Gieseking qui les refusa, les jugeant dissonantes, mais Bernstein, qui admirait Copland, les considéra comme une œuvre « prophétique ». Qualifiée de série de variations peut-être la plus monolithique du 20e siècle par Clare Hammond, cette partition à l’indiscutable grandeur accumule les successions de variations pour en faire une vaste construction au discours spectaculaire, allant jusqu’à l’utilisation de toute l’étendue du clavier. C’est très impressionnant. Quant aux Variations de Hindemith, elles datent de l’époque où les nazis rejettent sa musique en 1936. D’abord destinées à être un mouvement de sonate, ces huit minutes à la fois émues et rythmées ont pris la forme d’une pièce isolée, profondément nostalgique. L’allusion à la situation du compositeur est claire, à travers l’emprunt à une ode issue du cycle des fleuves de Friedrich Hölderlin, Der Main, qui évoque l’exil. Le programme s’achève par la très dynamique, mais aussi inquiétante, Chaconne de Gubaidulina de 1963, dédiée à la pianiste géorgienne Marina Mdivani, en hommage à son jeu vivant.
Ce programme éclectique et original est servi par Clare Hammond avec une remarquable force de conviction. Elle s’adapte aux différentes atmosphères avec une technique très sûre et une facilité déconcertante, affrontant avec aisance les nuances, les progressions, les ambigüités, les vastes étendues ou les moments d’intimité contenue ou dévoilée. La lecture simultanée de ses commentaires dans la notice, où nous avons puisé notre inspiration (quelle meilleure guide ?), montre à quel point elle n’hésite pas à aborder des pages qui sortent de l’ordinaire et la classent parmi les personnalités pianistiques les plus exploratrices de notre temps. Elle annonce pour l’an prochain la sortie d’un disque sur la compositrice française Hélène de Montgeroult (1764-1836), reconnue comme l’une des meilleures improvisatrices de son époque. La découverte va donc demeurer la priorité de Clare Hammond ; les mélomanes avides de raretés ne peuvent que s’en réjouir.
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10